La Ville d’Hiver, avec ses extravagantes villas, est pratiquement construite d’un seul jet dans les années 1860, selon un plan d’urbanisation soigneusement préétabli. Elle doit son existence à l’« opportune association » d’un banquier avisé et du bacille de Koch.
Quand cette véritable ville nouvelle sort de terre, Arcachon est déjà une station balnéaire et de cure huppée. La bourgeoisie de la IIIe République est saisie d'un véritable engouement pour les bains de mer revigorants, et Arcachon devient une station de cure très prisée. Les riches négociants bordelais y ont pignon sur plage et les trains qui, depuis le rachat de la ligne Bordeaux – La Teste par la Compagnie du Midi, poussent désormais jusqu’à Arcachon même, font le plein tout l’été.
Or, les propriétaires de cette compagnie de chemin de fer, les frères Émile et Isaac Pereire, qui viennent de réussir à Paris la superbe opération immobilière du parc Monceau, s’intéressent beaucoup à la région où leur famille est fixée depuis un siècle, et sont propriétaires de milliers d’hectares de pins.
Émile, « celui qui a les idées », se demande comment rentabiliser son petit train douze mois sur douze et, pourquoi pas, monter du même coup une nouvelle opération immobilière. Il a un coup de génie. La pénicilline, découverte par Alexander Fleming, ne sera introduite pour des thérapies qu'à partir de 1941 ou 1943, et la tuberculose, que l’on appelle encore la phtisie, fait à l’époque des ravages. On essaie de mettre les malades dans les meilleures conditions de résistance possible. Une seule prescription : bonne nourriture et, surtout, bon air. D’où la floraison de sanatoriums en montagne et sur la Côte d’Azur. Il n’y en a pas sur la côte atlantique, considérée comme trop venteuse.
Mais le corps médical arcachonnais a depuis longtemps remarqué que les marins et les résiniers, malgré des conditions de vie et d’hygiène déplorables, ne contractent jamais la maladie. Le médecin Pereyra, cousin des banquiers, note également qu’en traversant la forêt de pins, les vents marins perdent de leur agressivité et que ce climat océanique atténué serait parfait pour les tuberculeux.
La ville d’été accueille déjà des malades, s'adonnant à des bains de mer et aux ensevelissements sous le sable réputés curatifs3. Émile va bientôt acheter les hauteurs d’Arcachon et les lotir. Ce sera la Ville d’Hiver, sorte de gigantesque sanatorium ouvert où les malades pourront séjourner avec leur famille, leurs domestiques, dans des maisons particulières achetées ou louées meublées. La Ville d'Hiver est, dès le départ, conçue comme une petite Suisse pour attirer les tuberculeux : la dune correspond à la montagne, les pins, ce sont les sapins, et les maisons sont conçues comme des chalets3. Les villas sortent de terre comme des champignons. Toutes sont d’apparence différente mais en réalité construites pratiquement sur le même plan, à partir d’éléments préfabriqués. La villa Marie-Adèle possède ainsi des cheminées escamotables pour chauffer les malades, la villa Marcelle-Marie est quant à elle une « maison courant d’air » pour faire entrer l’air balsamique des pins censé guérir les tuberculeux3.
Paul Régnauld (1827-1879), neveu d'Émile Pereire et polytechnicien, dirige les travaux sur le terrain. Dans un même temps, l’urbanisme va bon train. Un parc à l’anglaise est planté. Rues et allées sont dessinées en courbe, de telle sorte qu’il n’y ait jamais nulle part, de courants d’air. Enfin, une formidable opération de promotion lance la station en présence de l’empereur Napoléon III, de sa femme l’impératrice Eugénie et du prince impérial, leur fils : un triomphe.
Du monde entier affluent les curistes. La renommée de la Ville d’Hiver devient telle que bientôt, les gens bien-portants s’y installent aussi. Les hôtels s’ajoutent aux villas, et les riches visiteurs viennent se divertir au casino Mauresque. La ville attire les têtes couronnées de toute l’Europe, jusqu'à l'impératrice d’Autriche Sissi qui séjourne au Grand Hôtel lors de sa venue pour tenter de soulager son désespoir après la mort de son fils Rodolphe3.
Pereire revend ses lots. Son idée fait florès jusqu’à la Grande Dépression des années 1930. Alors, la clientèle habituelle, désargentée, déserte les fastes de la ville, sonnant le glas de l’âge d’or de la cité. La Ville d'hiver péréclite alors jusqu'aux années 1970, échappant de peu à l'insalubrité. Elle connaît un nouveau dynamisme et regain sous l'effet de l'action de quelques passionnés.